Lou Méchiche, d’eau et de feu
À tout juste 18 ans, cette jeune parasurfeuse malvoyante originaire du Taillan-Médoc, récompensée de la médaille de bronze aux championnats du monde 2023, a été désignée, avec neuf autres Girondins, pour être relayeuse de la flamme olympique. Rencontre avec une athlète de caractère, dont la sensibilité à fleur de peau et la fausse désinvolture viennent couronner une personnalité… déjà hors norme. Laurène Secondé
Avec sa casquette vissée sur la tête, ses cheveux blonds et sa planche waxée avec soin, on la confondrait aisément avec une simple ambassadrice Roxy, exécutant son plus beau take off, regard planté au loin. À la différence près que Lou n’y voit que du feu : « Mon œil gauche ne voit rien, hormis la lumière. Le droit dispose seulement d’un vingtième ». Un handicap visuel lourd, qui n’empêche pas la jeune femme, depuis quelques années, de gravir les échelons de la compétition nationale et internationale de parasurf, à force de persévérance et d’entraînement. Comme un pied de nez victorieux au diagnostic sombre qui lui saute au coin de la figure, en 2007, alors toute petite fille. À seulement deux ans et demi, les médecins lui détectent une tumeur cérébrale qui atteint gravement son nerf optique. Mais comme si la résistance était notée dans son ADN, Lou s’accroche et, après une longue période de chimiothérapie, se met en tête d’accéder à son rêve : surfer comme son grand frère Hugo. « J’avais tellement envie d’aller à l’eau que j’en pleurais ! » Le cap est franchi en 2012, grâce à l’association See Surf et à son président Claudy Robin, qui organise sa première initiation. « J’avais sept ans et ce dont je me souviens, c’est d’une sensation de liberté inouïe. Je n’étais plus une petite fille malade et handicapée. Mais bien Lou. »
Petite surfeuse deviendra grande
Très vite, la technique s’améliore et l’initiation prend des airs de perfectionnement : Lou a trouvé son élément. La petite fille prend du poil de la bête, ses ambitions aussi : « J’ai toujours eu ce goût pour la compétition et je me l’explique facilement. Je me suis battue des années contre ma tumeur. Un jour, j’ai eu envie de mener un autre combat, convaincue que rien n’était impossible ». Encouragée par Claudy Robin, les entraînements prennent une tournure experte, suivant les règles du parasurf de compétition, dont le format s’avère inenvisageable sans l’accompagnement d’un binôme. « Mon binôme, c’est mes yeux ! Sur sa planche à côté de moi, ou avec des palmes, il me décrit tout. »
Licenciée en école de surf, d’abord à Naujac, puis à Lacanau, Lou rêve de vivre du surf, patiemment, passionnément, jusqu’à ce coup de fil, début 2020. « Mon père me dit : « Lou, je viens de recevoir un mail. Dans trois semaines on part à San Diego. » J’avais envie de hurler ! ». À seulement 13 ans, elle est repérée par la Fédération Française de Surf et devient la première mineure à intégrer l’équipe de France. Elle s’envole pour la Californie, où elle décroche la quatrième place. « J’étais très stressée, je n’ai pas réussi à m’engager et à prendre des points. J’ai appelé ma famille et je leur ai dit que j’étais désolée. Mais tout le monde était super fier. Et j’ai compris que j’avais du temps devant moi. » Trois ans plus tard, la Taillanaise transforme l’essai à Huntington Beach (Californie) guidée par son feu intérieur et une rage de vaincre extraordinaire : « C’était le podium ou rien ». Elle opte pour une stratégie offensive à l’eau, face à des concurrentes internationales de renom. Et remporte le bronze.
Les forces de la différence
Outre sa participation à des compétitions nationales et internationales, Lou Méchiche profite désormais de son expérience et de son temps libre pour sensibiliser au handicap, en intervenant auprès de publics de tous âges. De la classe de collège aux résidents d’EHPAD, la jeune femme apprécie particulièrement cette opportunité d’échange : « Au-delà du sport, ces rencontres m’inspirent une réflexion plus large, sur la manière dont nos différences, qu’elles soient, physiques, mentales ou culturelles, peuvent enrichir nos vies et nos communautés ». Toujours accompagnée de son labrador Pita qui l’a rejointe il y a trois ans, elle aborde l’avenir avec une sérénité nouvelle, acquise progressivement au contact de son chien-guide. « J’ai connu le harcèlement au collège à cause de mon handicap. À l’époque, je préférais prendre le risque de tomber devant les gens plutôt que de me servir de ma canne blanche. Pitouille est arrivé à ce moment-clé. Aujourd’hui, il joue le rôle de gilet pare-balles, contre les mauvaises réflexions. Mon chien m’a redonné goût à la vie et m’a aidée à accepter mon handicap. J’ai littéralement changé de statut : je suis passée de la pauvre handicapée avec sa canne à la fille avec le chien ! C’est plus classe ! »
Forte d’une auto-dérision à toute épreuve et d’une exigence redoutable vis-à-vis d’elle-même, la parasurfeuse continue d’épater la galerie. Le 23 mai dernier, Lou Méchiche a relayé la flamme olympique avec toute la fougue qui la compose. L’occasion de rendre sa famille plus fière que jamais en ce moment historique, que seule une poignée d’athlètes ont la chance de connaître dans leur vie. « À l’époque, ma tante Sylviane l’avait dit, sur le ton de la blague, mais en l’espérant sûrement… Un jour, Lou portera la flamme. Aujourd’hui, le rêve est devenu réalité… et je pense à elle. »