Béatrice Duran, une vague d’émotions
A l’heure où partent ces lignes à l’impression, elle sera dans l’avion pour aller concourir aux Championnats du Monde de para surf pour défendre le titre qu’elle a obtenu l’année dernière en équipe. Sur la planche, elle reste allongée, mais c’est une grande femme qui a su se réinventer. Charlotte Saric
Il y a quinze ans, la vie de Béatrice a basculé. Une mauvaise prise en charge à la clinique de Lesparre, une suite d’erreurs médicales qui seront reconnues par la justice, des semaines de souffrances et de coma conduiront à la terrible amputation de ses quatre membres. Elle a alors 38 ans, elle est jeune maman, institutrice à plein temps et danseuse passionnée. Mais cela, c’était la vie d’avant. Maintenant, il va falloir réapprendre à vivre, combattre la colère et la dépression et aller de l’avant. “Il a fallu faire le deuil de celle que j’étais, de la danse, de mon métier, de la maman que j’étais.”
“Il faut vivre comme après”
Ne plus rien faire comme avant, pour, en quelque sorte, ne pas avoir à comparer. C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas repris la danse depuis qu’elle est en situation de handicap. Médocaine d’origine, elle a toujours eu un immense plaisir à rencontrer l’océan, à s’y ressourcer, à s’y promener. Aujourd’hui, c’est donc sur les vagues qu’elle danse. C’est sa kiné qui lui a soufflé l’idée il y a trois ans et qui lui a fait rencontrer son coach, Franck Guilbault, avec qui elle surfe à Carcans plusieurs fois par semaine. Il est dans l’eau à ses côtés, car dans sa catégorie, prone 2, elle a besoin d’aide pour passer la barre (sans bras, elle ne peut pas ramer) et lui donner de l’élan pour prendre la vague. Elle a fait shaper une shortboard 6’2’’ spéciale avec les dérives un peu moins à l’arrière pour mieux surfer avec son corps. Et rapidement connaître de la réussite en compétition. Un titre en équipe (ils sont 18 athlètes para-surfeurs) l’année dernière donc, 2ème en 2022 et en individuel elle a terminé 7ème ces deux fois. En novembre, elle vise de finir dans les cinq premiers. On lui souhaite ce grand succès.
Le regard des enfants et des gens
Ses deux filles, naturellement, on pu lui demander de nouer leurs lacets. Béatrice ne peut plus. Sa vie a changé. Dans sa maison de St Laurent du Médoc, un monte-escaliers a été installé, la douche a été transformée, les tiroirs adaptés et sa voiture est conçue pour qu’elle puisse la conduire avec ses moignons. Cependant, conduire plus d’une heure est impossible pour elle, c’est éreintant. Attraper, avec ses prothèses, un stylo est également très éprouvant. C’est pourquoi, malgré une immense volonté, elle n’a pas pu poursuivre son métier d’institutrice. Elle a essayé, a été très bien entourée par l’équipe pédagogique de l’école de Saint Hélène, et admirablement bien accueillie par les enfants. Un certain Louis, lui a d’ailleurs dit lors d’une sortie scolaire qu’elle avait de la chance de ne pas avoir de jambes, parce que lui avait mal aux siennes à force de marcher. Ça a été l’occasion de lui rappeler le champ lexical du corps, certes elle n’a pas de mollets mais elle a des cuisses ! Quand une enfant fait remarquer qu’elle n’a pas de mains, le commentaire ne la gêne pas car il est fondamentalement vrai. En revanche, elle constate que vers huit ou neuf ans, le regard devient plus embarrassé et il demeure ainsi chez la plupart des adultes. Sans être d’un militantisme agacé, Béatrice fait néanmoins le constat qu’il faudrait davantage d’intégration, d’interactions avec les personnes en situation du handicap, davantage d’accessibilité et donc une véritable mise en application de la loi de 2010 sur les établissements recevant du public.
Surfer et sourire
Des personnalités telles que Théo Curin, le nageur français et aussi animateur télé, mannequin, acteur et conférencier sont pour elle de belles incarnations qui permettent de regarder avec douceur les personnes en situation de handicap. Il en faudrait davantage. En Gironde, nul doute qu’avec ses qualités, sa générosité et son allant, Béatrice est aussi, si on peut dire, une égérie du para sport. On regrette cependant que le para surf ne soit pas discipline olympique pour la voir tuber à Los Angeles en 2028. Quel dommage que cette ville de surf n’offre pas l’occasion à cette toute jeune surfeuse douée et à ses comparses de l’équipe de France de nous rapporter une médaille qui ferait briller la discipline et le handicap. Qui dessinerait, aussi, un immense sourire sur le visage de Béatrice.