Furies : “Les VRP du drag”
C’est la première agence artistique dédiée aux drag-queens, en Nouvelle-Aquitaine. Créée en mars dernier, Furies veut rendre la pratique visible, légitime, encadrée et souhaite accompagner au mieux les artistes. L’agence en représente cinq à Bordeaux. Marion Ruaud
Le constat est souvent le même. En France, il est très difficile de vivre uniquement du drag. C’est celui de la plupart des artistes aujourd’hui et c’est aussi celui de Clémentine Polo, 36 ans, et Carla Blanc, 26 ans, fondatrices de Furies et associées.
Furies est la première agence artistique de drag-queens dans la région. La plus connue, Pop Models, est basée à Paris et la majorité de leurs talents a participé à l’émission Drag Race.
Une famille choisie
Dans la mythologie, « les Furies sont protectrices des droits, notamment ceux de la famille et des marginaux. On trouvait que ça faisait sens », livre Clémentine. Avec Carla, elles sont particulièrement attachées aux familles que l’on « choisit », « en dehors d’un entourage qui peut être défaillant ou toxique, particulièrement pour les membres de la communauté LGBTQIA+ », note-t-elle. « Les artistes avec lesquels on travaille font partie de nos familles choisies », rebondit Carla.
Depuis la création de Furies, en mars, les deux jeunes femmes représentent cinq artistes à Bordeaux : Alma del Prince, Freya Kor, Trudi Balls, Camomille et Prudence Lips. En parallèle, la plupart de ces drag-queens font également partie de collectifs. En 2019, Maison Éclose, la première maison queer, voit le jour. C’est la naissance de la culture drag à Bordeaux. Depuis, d’autres collectifs associatifs ont fleuri : Label.le Rouge, la Casa, Ô Fantasme, La Familips ou encore Techno Circus, entre autres.
Statut, droits et rémunération
À côté de leurs métiers respectifs, les deux amies sont devenues managers de talents drag. Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elles sont passionnées et investies depuis des années. Ensuite, parce qu’il y a un véritable besoin d’encadrer la pratique et les salaires : « Comme dans n’importe quel autre domaine artistique, finalement », lâche Carla. Enfin, pour apporter une crédibilité aux artistes : « On est un peu les VRP du drag », plaisante Clémentine. “On leur apporte aussi une forme de protection », poursuit Carla.
En effet, il n’y a pas de législation autour du métier et il s’avère compliqué de définir un cachet minimum. Le binôme milite pour une rémunération juste qui tient compte du temps de préparation et de la performance artistique : « Qu’on arrête de payer les artistes en bières… Il fut un temps, c’était le cas ! », se remémore Clémentine.
Les drag-queens ont certes gagné en visibilité, mais il n’existe toujours pas de statut reconnu qui leur est propre. Ils et elles dépendent souvent de l’intermittence ou de l’auto-entreprise. C’est le cas de Freya Kor, qui performe depuis 2019. L’intitulé de sa structure peut surprendre : « Organisation et mise en place d’événements culturels » : « un terme parapluie qui veut tout et rien dire », précise l’artiste.
Professionnaliser la pratique
Furies démarche aussi des événements qui relèvent du privé comme les mariages, les comités d’entreprise et les agences événementielles. La création de l’agence permet notamment aux drag-queens de se concentrer uniquement sur la partie artistique. Et c’est déjà beaucoup : « Le public pense que c’est une pratique immédiate mais on fait tout nous-mêmes : déjà, entre la coiffure et le maquillage, il faut compter trois heures de préparation minimum », confie Trudie Balls. « Grâce à l’agence, on se décharge de la partie financière, administrative : des tâches qui me rebutent ! ». « C’est un vrai poids en moins pour moi aussi », affirme Freya Kor.
Le vrai plus, c’est la relation de confiance qui s’est établie entre les artistes et les fondatrices de Furies. Pour Freya Kor, ce sont bien plus que des agentes : « Leur regard, leurs avis sont précieux car elles connaissent bien le milieu et les particularités des drag-queens qu’elles représentent. Je les respecte professionnellement et humainement et ça, c’est non négligeable ! ». Un avis partagé par Trudie Balls, reconnaissant, lui aussi : « C’est nous qui recevons les applaudissements mais les personnes de l’ombre, comme Clara et Clémentine, les méritent tout autant. »