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Architecte sans frontières

Hossama Kamal, architecte

On peut ériger des murs, construire sur des fondations solides tout en étant apatride et franchisseur de frontières. Bordelais depuis quelques années, palestinien d’origine, syrien longtemps… Rencontre avec Hossam Kamal, architecte qui peut dorénavant dire où il se sent chez lui. Charlotte Saric

 

Le quadragénaire est désormais fier de montrer ses papiers d’identité. Ils sont ornés de la cocarde française et il les choie depuis 2020, date à laquelle il les a obtenus. Avant cela, il a passé près de quarante ans de sa vie sans identité nationale. Retour en arrière : 1948, la première guerre entre Israël et la Palestine éclate, ses parents, à peine adolescents, quittent leur terre. Ils montent dans un train dont ils ne connaissent pas la destination. À l’époque, il n’y a pas encore de véritables frontières au Moyen-Orient, certains Palestiniens se retrouveront donc en Jordanie, d’autres au Liban, pour la famille Kamal, ce sera la Syrie. C’est dans le camp pour réfugiés dans lequel ils vivent, Yarmouk, en périphérie de Damas, qu’Hossam voit le jour, dernier d’une fratrie de sept. 

 

Ni d’ici ni d’ailleurs 

Avec le temps, un peu à l’instar de Sabra et Chatila au Liban, ce camp, qui abrite 1,2 million d’habitants, devient un quartier de la capitale syrienne, et même, selon les dires de l’architecte, un quartier « un peu prisé, un peu comme St Michel ». La vie n’est pas vraiment malheureuse, bien qu’ils soient arrivés ici sans rien, ils y ont fait une vie. Le père est fonctionnaire, la mère au foyer, tous les enfants ont accès à l’éducation. Ils grandissent néanmoins en apatrides, n’étant ni palestiniens ni syriens. Légalement dans le pays de Bachar, les ressortissants palestiniens n’ont pas le droit du sol. Alors, quand Hossam parle arabe avec des Syriens, ils entendent son accent palestinien et réciproquement avec les habitants de Gaza. Il est chez lui un peu nulle part finalement. Mais il est brillant, et poursuit des études d’architecture. Son anglais est impeccable, parfaitement bilingue et doué, il est promis à une belle carrière. Pour son premier emploi, il gagne entre 2000 et 3000 dollars par mois (actuellement, un architecte à Damas touche 50 dollars par mois). Mais il est aussi concerné, politisé et courageux. 

 

Guerre et révolution 

Alors, quand la révolution éclate en Syrie, il prend position. Le régime en place de Bachar Al-Assad n’apprécie pas. Il est menacé. En toute logique, il prend peur et sait que s’il veut rester en vie, il doit partir… On peut même dire fuir. Un ami pilote de ligne prend le risque de le faire voyager clandestinement en tant qu’agent de maintenance sur le vol qui le conduira au Caire. Nous sommes en 2012. Très vite, il retrouve un emploi. Son diplôme d’architecte est reconnu partout au Moyen-Orient et au Maghreb. Mais en plus de trouver la vie quotidienne difficile dans la capitale égyptienne, les Frères musulmans renversent Hosni Moubarak et l’avenir qui se dessine ne semble pas heureux. Alors, ce sera le Liban où l’ONU lui propose un contrat d’un an. Mais lors d’un déplacement dans le sud du pays, il se fait arrêter, sans qu’il comprenne pourquoi, par le Hezbollah. Le sentiment de peur vient de nouveau couler dans ses veines. Et après sa libération, concomitamment à la fin de son contrat avec les Nations Unies, il fait plus d’une trentaine de demandes d’asile de par le monde. 

 

Liberté, égalité, fraternité ? 

Si les USA ou un pays du Commonwealth lui avaient répondu, ça aurait été peut-être plus facile dans un premier temps. Mais c’est la France qui lui répond et l’invite à venir. Il ne sait pas un mot de la langue de Molière hormis « merci » (mais c’est facile, cela s’utilise également en arabe). Il fouille son répertoire et retrouve deux amis de l’école d’architecture de Damas qui vivent à Bordeaux et l’invitent à venir en Gironde. Il lui faut à peine trois mois pour apprendre notre langue. Là où le bât blesse, c’est que son diplôme n’est pas valable ici, alors il travaille dans une épicerie avant de pouvoir reprendre ses études et d’être en mesure de travailler dans un cabinet d’architecture bordelais. Il obtient son DEA, trouve un appartement et commence à vivre sereinement. La vie lui fait aussi un clin d’œil depuis qu’il est devenu interprète assermenté alors qu’il n’y a pas si longtemps il ne connaissait pas le français. Aujourd’hui, il est de retour sur les bancs de l’école d’architecture pour obtenir son HMONP qui lui permettrait d’ouvrir sa propre agence. Parce que celui qui a toujours dû abandonner ses maisons, ses foyers, a une irrépressible envie de construire. « Je peux le dire aujourd’hui, chez moi, c’est Bordeaux. Quand je la quitte, j’ai un peu le mal du pays. » Et maintenant qu’il a un passeport et qu’il peut légalement voyager, il se prend à rêver d’aller en Palestine, « sur la terre de mon père ».

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