Des robots intelligents dans la hotte du Père Noël
De plus en plus de start-up imaginent des jouets dotés d’intelligence artificielle (IA), capables de stimuler l’apprentissage des enfants et d’interagir avec eux. Ils pourraient trouver leur place sous le sapin, cette année. L’occasion d’explorer les avantages mais aussi les risques et les limites de ces joujoux high-tech. Marion Ruaud
“Comment une intelligence artificielle peut apprendre à un enfant à réfléchir par lui-même ?”, s’interroge Fanny. Face aux compagnons de jeux intelligents, la jeune femme se montre dubitative. Maman d’une petite fille de 5 ans, elle se questionne sur la pertinence de cette technologie sur le développement cognitif ou émotionnel des plus jeunes : “Les enfants apprennent en faisant. Je doute que ces jouets aient la capacité de créer une vraie interaction et je ne vois pas comment un robot pourrait gérer les émotions de ma fille.”
Pourtant, le marché des jouets interactifs, alimentés par l’IA, est en pleine expansion. En 2024, il est estimé à plus de 34 milliards de dollars dans le monde. Il devrait atteindre 109 milliards d’ici 2029, soit une croissance de près de 26%, d’après une analyse de la société Mordor Intelligence.
Des dizaines d’émotions
Deux grands yeux bleus écarquillés et un sourire apparaissent sur l’écran. Le robot Miko, axé sur l’auto-apprentissage, fournit un contenu éducatif basé sur des données issues de programmes scolaires. Sur Amazon, site qui le commercialise, il est indiqué qu’il serait capable de résoudre des problèmes de mathématiques, “de comprendre et de réagir au monde de l’enfant, d’inculquer des sentiments de camaraderie et de connexion sociale pour aider à renforcer la confiance”. Miko est “livré avec des dizaines d’émotions”.
Des adjectifs appartenant à ce champ lexical sont d’ailleurs mis en avant : “expressif” ou “étonnamment empathique”. “Si un enfant est triste, rien ne remplace un câlin !”, s’exclame Fanny. “C’est impensable pour moi de déléguer à un robot des actes qui relèvent de l’éducation, de la parentalité !”, poursuit-elle. “L’idée d’un doudou intelligent est intéressante. Un tel jouet peut effectivement apporter un soutien. Il faut néanmoins ne pas leur en demander trop. Ils ne remplacent ni les parents, ni un accompagnement spécialisé en cas de difficulté”, analyse Jean-Claude Heudin, scientifique, écrivain et chercheur en intelligence artificielle.
Miko, à l’instar d’autres robots onéreux (de 250 à 800 dollars), favoriserait le bien-être social et émotionnel des enfants de 5 ans et plus. Son concurrent, Moxie, également alimenté par GPT, se présente comme un robot d’apprentissage “doté d’un cœur, d’une compassion sans fin, d’une patience illimitée et de connaissances approfondies”. Il aiderait les enfants à progresser sur le plan scolaire, améliorerait leurs compétences en matière de communication et canaliserait leurs émotions dans les moments de détresse.
“Pour moi, c’est gadget !”, lâche Fanny. “Le danger, c’est de rendre les enfants dépendants d’une empathie artificielle”, alerte Laurence Devillers, professeure à Sorbonne Université et chercheuse en intelligence artificielle. Jean-Claude Heudin partage cet avis : “Les enfants ne doivent pas considérer ces jouets comme réellement vivants. Ce sont des objets, certes animés et intelligents, mais des objets quand même.”
Transparence et pédagogie
Pour Laurence Devillers, “pro-technologie”, comme elle se définit, il n’est pas question pour autant de bannir l’IA de la vie des plus jeunes. “Ces objets deviennent dangereux si on fait n’importe quoi avec. C’est comme pour un médicament.” L’enjeu, c’est plutôt la pédagogie. Selon elle, les constructeurs doivent être transparents quant aux bénéfices, à la part exacte d’apprentissage, aux méthodes, par exemple. Elle craint tout de même que “les créateurs de ces robots ne soient pas dans une logique d’inciter les enfants à comprendre.”
En somme, si la machine donne le résultat, l’enfant ne va pas apprendre grand-chose. Fanny rebondit : “Déjà qu’avec Google, on a toutes les réponses à portée de main…” Elle ajoute : “Il faut que nos enfants apprennent à réfléchir par eux-mêmes. Alors avec l’IA, pourquoi pas, mais encore faut-il savoir quoi lui demander !”
Simulation cognitive, apprentissage pratique, développement des capacités créatives, les jouets intelligents peuvent offrir de nombreux avantages. Cependant, la diffusion de connaissances erronées ou inexactes, la confidentialité des données, la protection de la vie privée peuvent rebuter et inquiéter les parents. En effet, les jouets connectés collectent des données sur les activités des enfants. Sur Amazon, il est spécifié que Miko est “un robot fiable, avec cryptage de données et normes strictes de confidentialité”. Fanny émet des doutes sur la garantie d’une expérience sécurisée : “En réalité, on ne sait pas vraiment ce qui va être enregistré par l’IA… La voix de l’enfant par exemple ? Et qu’est-ce qu’ils vont en faire ?”
L’ère de la dépendance
D’après l’étude de Mordor Intelligence, les inquiétudes croissantes liées au respect de la vie privée “pourraient entraver le développement de l’industrie du jouet connecté”. Déjà en 2015, la poupée connectée Hello Barbie, imaginée par Mattel, avait créé la polémique aux États-Unis. Grâce à un micro et une connexion Wifi, elle était capable d’interagir avec les enfants, d’apprendre leurs goûts ou encore de mémoriser leurs voix. Des données transmises ensuite à Mattel.
Comme toute technologie, elle doit être spécifiquement adaptée pour les enfants. Selon un article du magazine économique Forbes, “les nouvelles entreprises ont mis en place des garde-fous pour protéger la confidentialité des données […] Les données visuelles du robot Moxie sont traitées et stockées localement sur l’appareil plutôt que dans le Cloud. Les transcriptions des conversations sont dépouillées des informations personnelles identifiables”, écrit la journaliste Rashi Shrivastava, qui a pu interviewer Paolo Pirjanian, fondateur d’Embodied, Inc, à l’origine de Moxie.
Reste à savoir comment les enfants peuvent s’approprier cet outil pour aller plus loin, “bien au-delà de l’effet waouh”, préconise Laurence Devillers. Globalement, elle encourage les parents à bien regarder ce qu’ils achètent. De son côté, Jean-Claude Heudin leur conseille “d’être vigilants face un attachement avec le robot qui semblerait excessif”. Pour Laurence Devillers, “il est urgent que les enfants deviennent curieux de ces objets”. Une curiosité qui ne doit pas pour autant créer une dépendance.