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Nouveaux Cycles, les règles sans tabou

L’association bordelaise Nouveaux Cycles parle des règles et de la sexualité féminine à des publics pour qui le sujet est souvent tabou. Jean Berthelot de La Glétais

Un peu amusées, très concentrées surtout, Anne et Emilie* ne perdent pas une miette des échanges qui ont lieu sur la scène du café culturel bordelais le Pourquoi pas, ce soir-là. La mère et la fille, respectivement quinquagénaire en chemisier ample sur jean évasé et vingtenaire en salopette bleue, même sourire avenant et mêmes boucles châtains, s’envoient à intervalles réguliers des regards complices. « On a beau s’intéresser à la question des règles, vouloir éduquer ses enfants, on n’est jamais trop informées », commence Anne. « Par exemple, ce soir, j’en ai appris beaucoup sur l’endométriose durant cette Vulvaventure. » Vulvaventure, c’est le nom choisi par l’association Nouveaux Cycles pour désigner ces soirées où des spécialistes viennent débattre lors d’une table ronde, complétée par la diffusion d’un film, l’intervention de comédiens, ou d’autres happenings permettant d’apporter de la légèreté à des thèmes souvent très sérieux. « Ce n’est pas du tout bêtement descendant », apprécie Emilie, qui a déjà assisté à trois de ces événements. « C’est pensé pour être vivant, et ensuite pour favoriser les échanges entre les spécialistes et le grand public. Cela marche vraiment très bien », apprécie l’étudiante en langues à Bordeaux-Montaigne.

« Lever les tabous »

Cela fait désormais cinq ans que Nouveaux Cycles organise ces soirées, et plus globalement multiplie les actions pour tenter de sensibiliser les femmes prioritairement, mais les hommes aussi, à la question des règles, de la reproduction et de la sexualité féminines. « Au départ, en 2019, l’objectif principal était de lutter contre la précarité menstruelle », explique Linda Désir, responsable de l’association. Et puis très rapidement il s’est agi d’élargir, et de parler de la question de la santé gynécologique, des parcours d’identité de genre, sans oublier celle du plaisir féminin ou de la stigmatisation des « sorcières ». Cinq salariées travaillent désormais pour ce collectif qui intervient en Gironde et dans les Landes, dans les collèges, les lycées, ainsi qu’en milieu carcéral notamment. Nouveaux Cycles est aussi sollicité par des collectivités et organise un festival biennal, Ragnagnas Party, soit deux jours de conférences, d’ateliers, de spectacles et de rencontres sur la santé gynécologique, les règles et la précarité menstruelle, les sexualités, les choix contraceptifs et le consentement, les identités et la lutte contre les violences et discriminations liées au genre.

« On survole ces thématiques à l’école, alors nous on se sert de l’éducation populaire pour libérer la parole, lever les tabous. C’est vraiment au cœur de notre méthode », poursuit Linda Désir. « Nous essayons de toucher un public le plus large possible, en allant partout où l’on peut porter notre message. »

« Ils ont gagné en maturité »

Parmi les structures susceptibles de collaborer avec Nouveaux Cycles figurent notamment les missions locales. Juliette Cabrou y est conseillère sur le territoire de Haute-Gironde, entre Bourg et Saint-André de Cubzac. Elle accompagne les bénéficiaires du Contrat dengagement jeune (CEJ), ce dispositif d’encadrement renforcé pour tenter de revenir vers un marché de l’emploi dont on est éloigné. « Avoir un impact sur la sensibilisation, l’éducation, la prévention à ces questions fait aussi partie de nos missions », explique-t-elle. « Nous sommes par essence une structure inclusive, avec un accueil inconditionnel, quel que soit le genre, l’orientation, nous avons donc ce devoir. Grâce à Nouveaux Cycles nous bénéficions d’un soutien matériel, notamment avec des protections lavables, sûres et durables, des culottes menstruelles, mais nous avons aussi pu suivre et proposer des ateliers, pour nous personnels comme pour nos bénéficiaires, sur ces thématiques. » En Haute-Gironde, ce sont ainsi 57 jeunes qui ont pu être formés et sensibilisés. Et qui en sont ressortis le plus souvent enthousiastes, à l’image de Jeanne*, 20 ans. La jeune femme, en attente d’une formation dans le tourisme, a participé à l’un de ces ateliers. Déjà très au fait de ces questions, elle a suivi avec beaucoup d’intérêt le débat qui a occupé une partie de ce temps. « Les formatrices ont demandé à celles et ceux qui pensaient être concernés par les règles de se mettre d’un côté, et aux autres d’aller se placer en face. La plupart des hommes ont initialement considéré que cela ne les regardait pas. Alors nous avons pris la parole pour expliquer en quoi nous pensions, au contraire, que la question les concernait aussi. C’était passionnant ! On a vu que cela les a fait réfléchir, et gagner en maturité. » Rendant sans doute un peu moins tabou un sujet qui continue de l’être dans beaucoup de milieux, pour des raisons culturelles, religieuses ou sociales notamment. « Dans ma famille, ça ne l’est pas du tout. Mais nous sommes une exception. Dans celle de ma compagne, par exemple, dont les parents sont septuagénaires, c’est bien plus compliqué d’en parler », explique Jeanne.

Un propos social

Dans ce territoire rural, où l’accès direct à l’information n’est pas toujours évident — comme, d’ailleurs, dans certaines banlieues défavorisées- le travail de Nouveaux Cycles revêt une importance toute particulière. « La parole se libère dans ces ateliers, il y a une synergie collective qui fait que tout le monde ose poser des questions », observe Juliette Cabrou. « Ce que cela m’évoque, ce sont des bulles qui permettent aux participantes d’échanger, partager leurs expériences, leurs doutes. Il y a à la fois des informations descendantes et des discussions collectives. Tout cela contribue à la prise de conscience de l’impact du patriarcat sur les organisations et sur nos vies quotidiennes, car si les problèmes liés aux menstruations et aux pathologies annexes concernaient aussi les hommes, ils seraient bien mieux pris en compte. »

Un propos social, donc, indissociable du travail de Nouveaux Cycles, dans un contexte de plus en plus inquiétant de remise en question des droits des femmes dans le monde occidental — de celui d’avorter en particulier. Au sein de l’association, le durcissement autour de ces questions se ressent notamment dans une forme de frilosité des partenaires, et de subventions qui sont données moins facilement qu’auparavant. « Nous avons pourtant beaucoup de nouveaux projets, et souhaitons notamment accompagner de mieux en mieux des femmes en situation de précarité », assure Linda Désir. « Nos salariées, comme nos 73 bénévoles, sont plus que jamais mobilisées pour avancer encore dans la libération de la parole et la prise en compte de ces thématiques. » Un impératif sociétal, en ces temps où les conservatismes s’exacerbent, largement encouragés par une pensée d’extrême droite chaque jour plus audible.

*À la demande des intéressées, les prénoms ont été modifiés.

Si vous souhaitez rejoindre l’équipe de bénévoles de Nouveaux Cycles, l’association peut être jointe via son site (https://nouveauxcycles.org) ou les réseaux sociaux ​​@nouveauxcycles

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