L’édifice, inauguré en 1780, fait partie des lieux emblématiques bordelais. Imaginé par l’architecte Victor Louis, à la demande du Gouverneur de Guyenne, Louis Armand du Plessis, duc de Richelieu, l’imposant bâtiment à l’architecture raffinée fait, à son ouverture, des émules. Au XIXe siècle, il accueille les artistes les plus célèbres (Liszt, Cinti-Damoreau, Falcon, Viardot, Talma, Nourrit, Duprez, Rubini, Petipa…), et son acoustique exceptionnelle est plébiscitée, grâce à la carcasse de bois qui enveloppe sa grande salle. Si l’Opéra est synonyme de spectacles grandiloquents et somptueux, en coulisses, une véritable fourmilière s’active pour faire vivre les plus grands événements. Claire Mayer

Atelier de fabrication de costumes, de décors, d’accessoires, artistes, maquilleurs, machinistes, techniciens… L’Opéra est une multitude de métiers qui s’accordent à la lumière d’une symphonie. L’objectif : créer un spectacle qui fasse, chaque jour, vibrer un public conquis. 

L’atelier de couture : entre calme et volupté 

L’Opéra de Bordeaux commence sous terre, dans les méandres de son ventre. Là, il faut baisser la tête et observer l’endroit où, jadis, les décors étaient poussés à la main, pour faire vivre les différents actes du spectacle. Des techniciens s’affairent à vérifier les moindres détails, avant la première tant attendue. Dans les escaliers qui mènent à d’autres escaliers (encore) et couloirs étroits, il est fort probable de se perdre. Ici, on est loin de la grandeur affichée en façade. Mais l’histoire s’écrit aussi dans tous ces recoins passionnants. L’arrivée au dernier étage offre son lot de surprises : une terrasse ponctuée de gargouilles, avec vue sur la place de la Comédie. Et, surtout, l’atelier de couture. Installé sous la charpente du Grand Théâtre, celui-ci est un véritable cocon lumineux, au calme saisissant. Dans cet antre du costume de scène, pas d’écrans, et chacun est concentré sur son ouvrage. En amont d’une réalisation, les costumiers “déterminent en équipe avec les personnes du montage” quel sera l’ouvrage, explique Claire Gollentz, coupeuse de l’atelier. Une véritable réflexion est menée autour d’un textile avec, pour point de départ, l’idée du metteur en scène et des créateurs de costumes. Pour un ballet comme Giselle par exemple, qui s’est tenu fin 2023 à l’Opéra, pour vingt danseuses sur le plateau, 25 costumes ont été confectionnés, pour 80 costumes en tout. « On peut monter jusqu’à 130 pour une production » ajoute Claire Gollentz. Ils sont quatre ici, à temps plein, appuyés par des intermittents qui viennent prêter main forte lors du montage d’un spectacle. Une fois celui-ci achevé, les costumes sont stockés, d’autres seront réutilisés, adaptés. « Les métiers du costume ne sont pas des métiers où l’on jette. On fabrique des pièces pour qu’elles soient utilisées. » Loin, très loin donc, de la fast fashion. 

Décoration et accessoires : un cabinet de curiosités

Quelques étages plus bas, l’atelier de fabrication des accessoires et de décoration des costumes attire le regard de toutes parts. Objets, masques, plumes, ailes… Si tout est religieusement classé, l’ensemble des détails d’un spectacle s’offre aux yeux ébahis. Aux commandes, Eric Delaunay, qui œuvre à l’Opéra depuis plus de trente ans. « Je considère mon métier comme une interprétation de l’objet » avance-t-il d’emblée. Dans cet atelier, les équipes accessoirisent une tête, un corps, dès lors que la réalisation sort de la couture plus classique façonnée dans l’atelier plus haut. Ici, ils fabriquent réparent, accessoires de scène, lits, objets scéniques, petit mobilier… À Bacalan, un atelier de fabrication de décors prend le relais lorsque les murs de l’atelier de l’Opéra ne peuvent plus être poussés. C’est aussi dans une autre pièce que les effets spéciaux sont imaginés. À l’Opéra de Bordeaux, l’un des seuls à n’avoir jamais brûlé, pour préserver son décor boisé, l’utilisation de flammes de tout ordre est interdite. Alors, il faut parfois faire preuve d’imagination pour faire état d’effets pour le public. 

Maquillage et dernières répétitions 

Avant que les portes de l’Opéra ne se referment sur le public, que la dernière sonnerie annonçant le début du spectacle ne retentisse, les artistes s’affairent. Concentration, vocalises, maquillage, habillage… Le spectacle débute finalement en coulisses où tout est orchestré. À quelques heures seulement de la première représentation des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, qui s’est tenue au Grand Théâtre bordelais jusqu’au 26 janvier, le baryton Florian Sempey se prépare lui aussi. Celui qui aime se produire dans sa « maison de cœur » raconte cet « esprit de troupe » qui anime les lieux. À ses côtés, Louise Foor, qui se produira ce soir-là sur la même scène. La tension commence à monter d’un cran : dans les couloirs, les « pêcheurs de perles », en costumes, s’affairent. L’ambiance se découvre, chacun est déjà dans son rôle. Le spectacle a déjà commencé. 

S’ouvrir aux nouvelles pratiques

Cette mécanique bien huilée, Emmanuel Hondré, directeur de l’Opéra de Bordeaux, la compare à de la « gastronomie » : « Vous rêvez d’une recette, d’une œuvre, vous choisissez un lieu, une équipe pour la faire, vous recommencez… Il y a ensuite un moment T où ça doit sortir, et rencontrer un public ». Et depuis son arrivée à la tête de l’institution culturelle en 2021, le directeur des lieux cherche à insuffler un vent de nouveautés. En 2022, il expérimente l’expérience d’une mise en scène « zéro achat » sur un requiem de Mozart. L’objectif, intégrer un esprit de recyclage dans la création pour réduire les coûts et engager une démarche d’éco-durabilité, tout en faisant vivre le patrimoine et en valorisant les stocks disponibles. Une nouvelle expérience collective qui a œuvré dans l’ombre. Une ombre sans qui toute représentation de l’Opéra ne verrait le jour.